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la donna à un gentilhomme de cinquante-cinq ans, qui se nommoit Chambret, et étoit de la maison de Pierre Bussières en Limousin. Cet homme étoit de mauvaise humeur, et tout plein de cautères : il ne pouvoit pas même avantager sa femme, car il n’avoit que quatre mille livres de rente en fonds de terre, sans argent ni meubles. Son plus grand bien consistoit en gouvernements, en pensions et en bénéfices ; ceux de la religion en tenoient encore en ce temps-là par tolérance.

Elle n’avoit que dix-huit ans quand elle fut délivrée de cet homme, dont elle eut un fils et une fille. On appeloit cet homme le brave Chambret. Il étoit si brutal, et d’une mine si farouche, qu’un sommelier qui avoit été laquais de sa veuve, ayant vu son portrait au bout de vingt ans, se mit à trembler comme une feuille.

Il avoit une fois querelle avec un M. de Saint-Bonnet ; il prit justement le temps que Saint-Bonnet traitoit des gens, et avec un cor alla comme le sommer au combat. Saint-Bonnet sort de table, et dit aux autres : « Ayez patience, je vous apporterai bientôt l’épée et les éperons de Chambret. » Il y va, charge son pistolet de dragées, tire le premier (car l’autre, aussi bien que Grillon, faisoit toujours tirer son homme). Saint-Bonnet lui en farcit le visage et les yeux. Chambret, tout étourdi, tombe : il lui ôte son épée et ses éperons.

Un autre vieux mari, et plus vieux que le premier, l’attrapera bientôt. Il y avoit à la cour un vieux gentilhomme, âgé de quatre-vingts ans, ou peu s’en falloit, qu’on appeloit M. de Bellengreville[1] ; il étoit grand

  1. Le sieur Bellengreville fut reçu dans la charge de prévôt de l’hô-