Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sottise ; mais il se résolut d’en attendre le succès. La Noue sort et demande si on ne savoit point ce qu’étoit devenu ce gentilhomme qui lui avoit parlé quand il heurtoit. L’autre s’approche. « Vous aviez raison, lui dit-il, de dire qu’on n’attendoit que moi, car le Roi m’a choisi pour un tel dessein, et m’a permis d’y mener qui je voudrois. Vous serez, s’il vous plaît, de la partie. » Ils y furent, et le jeune homme y fit fort bien.

On conte de lui que la veille d’une bataille, ne se trouvant point d’argent, il envoya vendre deux chevaux. L’un d’eux fut vendu bien cher. Il dit à son écuyer : « Qui l’a acheté ? — Un tel. — Tiens, lui dit-il, ce cheval ne coûte que tant ; va rendre le reste à ce cavalier. Le désir qu’il a de bien faire demain, lui a fait tant donner d’un cheval qu’il connoît, et dont il espère tirer bon service. » Et effectivement il renvoya la plus grande partie de l’argent.

Quand il revint de Tournai, où il fut si long-temps prisonnier[1], Henri IV le voulut marier avec une riche héritière. Il l’en remercia et dit qu’il avoit donné sa foi à la nièce du gouverneur de Tournai, parce qu’elle avoit de beaucoup allégé la rigueur de sa prison : il avoit quatre-vingt mille livres de rente dont il fut obligé de vendre une grande partie.

  1. Le brave La Noue fut fait prisonnier, au mois de juin 1580, par Philippe de Melun, vicomte de Gand, qu’on appeloit le marquis de Risbourg. Quoiqu’il fût parent de La Noue, le marquis abusa de sa victoire au point de faire massacrer sous les yeux de La Noue plusieurs des gentilshommes qui avoient combattu avec lui, et il livra ensuite son prisonnier aux Espagnols. (Voyez la Vie de François de La Noue, par Amirault ; Leyde, Jean Elzévier, 1661, in-4o, p. 263.)