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dit que comme Chapelain vouloit détourner Luillier de se faire conseiller, l’autre lui dit : « Mordieu, je vous ai laissé faire de méchants vers toute votre vie, sans vous en rien dire, et vous ne me laisserez pas changer de charge à ma fantaisie ! » Je crois pourtant que Chapelain ne l’entendit pas, car ils ont toujours vécu en amis depuis cela.

J’ai dit ailleurs qu’il disoit que La Mothe Le Vayer étoit prêtre ou charlatan, et qu’il avoit des souliers noircis avec un habit de panne, et Chapelain un maquereau.

J’ai vu une estampe de Rabelais, faite sur un portrait qu’avoit une de ses parentes, qui ressembloit à Luillier comme deux gouttes d’eau, car il avoit le visage chaffouin et riant comme Luillier. Pour l’humeur, vous voyez qu’il y a assez de rapport.

Il fit son bâtard[1] médecin, parce que, disoit-il, en cette vocation-là on peut gagner sa vie partout. Ce garçon lui ressemble fort pour l’humeur et pour l’esprit.

Luillier étoit inquiet à un point qu’il disoit franchement : « Dans un an je ne sais où je serai, peut-être irai-je me promener à Constantinople. » Il ne mentoit pas, car un beau jour, sans rien dire à personne, il part. Ses gens disoient qu’il s’étoit allé promener pour quatre ans. Il alla bien se promener pour plus long-temps, car il est encore à revenir. Il alla en Provence

  1. Chapelle. (T.) — Claude-Emmanuel Luillier, dit Chapelle, né en 1626 au village de La Chapelle, près de Paris, mort en 1686. C’est l’ami de Bachaumont, et de tous les grands hommes de son temps ; épicurien aimable, il s’est acquis une réputation immortelle par son Voyage et quelques poésies légères, naturelles et faciles.