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année de sa pension ; il les refusa. « Ah ! dit le cardinal, je ne le croyois pas si désintéressé ! » Et ensuite il l’envoya chercher : « Il faut que nous vous canonisions, monsieur de Belley, lui dit-il. — Je le voudrois, monseigneur, nous serions tous deux contents ; vous seriez pape, et je serois saint. »

Il refusa un évêché que M. de Chavigny lui vouloit faire donner, disant qu’il en étoit indigne, et que c’étoit pour cela qu’il s’étoit défait du sien.

Le cardinal de Richelieu, qui avoit trouvé cet homme plaisant, l’envoyoit quelquefois quérir, même de Ruel, quand il étoit las de Bois-Robert et de tous les autres divertissements ; car bien souvent il lui est arrivé de dire à Bois-Robert : « Ah ! mon Dieu ! le méchant bouffon ! mais ne sauriez-vous me faire rire ? » C’étoit comme ce noble Vénitien qui disoit : Sta cosa è troppo seria, buffon malinconico, fa me rider. Il envoyoit aussi chercher quelquefois le père Bernard, qui étoit un fou de dévotion, et lui faisoit conter l’histoire des prisonniers et des pendus qu’il avoit assistés au supplice. Ce père Bernard avoit été autrefois très-débauché ; puis il s’étoit jeté dans la dévotion, faute de bien, et son zèle et son emportement l’avoient canonisé parmi le peuple avant sa mort. Il prêchoit dans les salles et sur l’escalier de la Charité, et une fois il dit : « Il faut finir, car voilà l’heure qu’on va pendre un pauvre passement d’argent, et se mit à crier un demi-quart-d’heure : Passement[1] d’argent. À sa mort on vendit trois ou quatre guenilles qu’il avoit au poids de l’or. Il avoit laissé ses souliers à un pauvre homme ;

  1. Il faut l’e ouvert. (T.)