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avoit soin de lui donner un caleçon des pauvres quand il falloit mettre le sien à la lessive, car le bon prélat n’en avoit qu’un. Il se retiroit à cinq heures, et personne ne le voyoit ; il alloit l’été passer quelques jours chez M. de Liancourt, et ailleurs étoit toujours gai, mais se retiroit régulièrement à cinq heures.

Les moines, qui le haïssoient comme la peste, à cause du livre intitulé : De l’ouvrage des Moines[1], qu’il a fait contre eux, ont épluché bien exactement sa vie ; mais ils n’y ont jamais trouvé à mordre.

Il lui prit une fantaisie autrefois de faire des romans spirituels pour détourner de lire les profanes. Cette vision lui vint quand l’Astrée commença à paroître. Il faisoit un petit roman en une nuit, et il en a beaucoup fait. C’est un des hommes de France qui a le plus fait de volumes.

Il prêchoit un peu à la manière d’Italie ; il bouffonne sans avoir dessein de bouffonner ; il fait des pantalonnades quelquefois ; mais il reprend bien les vices, et est toujours dans le bon sens. Un jour, il rencontra en son chemin le chevalier Bayard ; il ne fit plus que parler de lui, et oublia tout le reste. Une autre fois il fit je ne sais quelle comparaison d’un berger qui paissoit ses brebis dans un vallon ; il se mit à décrire ce vallon, puis un bois, puis un ruisseau, et à la fin, revenant à lui : « Messieurs, dit-il, je vous ai menés bien loin ; mais je vous y ai menés par des chemins bien agréables. »

Le cardinal de Richelieu lui envoya un brevet de conseiller d’État, et ensuite deux mille francs pour une

  1. C’est un Commentaire sur le livre de saint Augustin. (T.)