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main à l’abreuvoir. Cela lui gagna terriblement le cœur des Weimariens ; car, quand ils voyoient passer ce cheval, ils lui ôtoient le chapeau.

Feret, secrétaire françois du duc de Weimar, dit qu’il légua bien ses armes à Guébriant, mais qu’il légua son cheval au Roi, et qu’il fut amené à la grande écurie. Il lui avoit coûté trois mille livres. Il étoit fort doux pour Weimar ; mais il ne vouloit point souffrir qu’un autre le montât, au moins y avoit-on bien de la peine. Guébriant le monta, dit Le Laboureur, et après sa mort il fut mené chez le Roi, où il est mort[1].

Le comte commanda cette armée en la place du duc de Weimar. Sa feinte ivrognerie lui servit aussi beaucoup ; car, quoiqu’il ne bût d’ordinaire que de l’eau, avec eux pourtant il faisoit la débauche, et escamotoit si adroitement qu’il leur faisoit accroire qu’il s’enivroit, puis il se laissoit tomber sous la table[2]. On dit qu’ils en étoient charmés.

Il défit Lamboy, et fut fait maréchal de France, du temps que le cardinal de Richelieu avoit M. Le Grand et toute sa cabale sur les bras. En reconnoissance de

  1. Ce cheval s’appeloit le Rabe, en allemand le Corbeau. « Le comte, dit Le Laboureur, le monta dans tous les combats où il se trouva depuis, où l’on a pu dire qu’il combattoit sous son maître, puisque l’on a souvent remarqué qu’il accabloit des ennemis sous ses pieds, ou bien qu’il les mordoit à sang. Il a souvent rapporté des blessures qui n’ont pas été sans récompense, puisque le comte, son maître, le voyant vieil lors de sa mort……… le laissa au Roi par testament, et pria Sa Majesté de le faire nourrir le reste de sa vie dans sa grand’écurie. Il étoit fort gros et grand ; il avoit l’encolure courte et ramassée, la tête grosse, et étoit entier. » (Histoire du maréchal de Guébriant ; Paris, 1656, in-folio, p. 128.)
  2. Le duc de Weimar avoit deux buveurs d’eau maréchaux-de-camp, Guébriant et Montausier. (T.)