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Il étoit insolent et ivrogne. À Venise, il alla lever la couverture d’une gondole, qui est un crime dans ce pays de liberté ; aussi fut-il bien battu. Il dit qu’il étoit conseiller de France, et ce fut à cette rencontre-là, à ce qu’on dit, que pour la première fois on dit en Italie : O povera Francia, mal consigliata !

Son ivrognerie lui a fait courir mille périls et recevoir mille affronts. Un jour qu’il avoit bu, il vit un prêtre qui, portant corpus Dei, avoit une calotte ; il s’approcha de lui, et au lieu de se mettre à genoux, il lui jeta sa calotte dans la boue, et lui dit « qu’il étoit bien insolent de se couvrir en présence de son Créateur ». Le peuple s’émut, et sans quelques personnes de considération qui le firent sauver, on l’eût lapidé.

En une débauche, il dit quelque chose à Villequier, aujourd’hui le maréchal d’Aumont, qui lui rompit une bouteille sur la tête, et lui donna mille coups de pied. Des Barreaux le jour même pria Bardouville, son ami, gentilhomme de Normandie, homme d’esprit, mais libertin, de faire un appel à Villequier. Bardouville[1], qui connoissoit le pélerin, lui promit tout ce qu’il voulut, et le fit coucher. Le lendemain, il le va trouver ; le galant homme dormoit le plus tranquillement du monde, et depuis ne s’en est pas souvenu.

  1. Saint-Ibal dit, à la naissance du fils de Bardouville, qu’il lui falloit mettre des entraves quand on le baptiseroit, qu’autrement il regimberoit contre l’eau bénite. (T.)

    Le gentilhomme dont parle Tallemant étoit Henri d’Escars de Saint-Bonnet, seigneur de Saint-Ibal. Il a été fort mêlé dans les troubles de France, du temps du cardinal de Richelieu et de la régence d’Anne d’Autriche.