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elle n’étoit pas si espritée. On croit qu’il auroit réussi, car elle étoit gueuse ; mais la mort du mari l’exempta de cette peine. Elle fut remariée six semaines après ; et, comme on disoit au président Le Cogneux : « Pourquoi avez-vous remarié votre fille sitôt ? — Ne savez-vous pas bien, répondit-il, que je ne fais pas les choses comme les autres ? »

Le bonhomme Le Camus[1], le riche, alla voir M. Le Cogneux ; il étoit père de madame d’Emery. C’étoit un homme d’assez basse naissance qui étoit venu dans le bon temps aux affaires ; il étoit de Rheims, et vint à Paris avec vingt livres. Il l’a conté cent fois lui-même, car il n’étoit point glorieux. Il dit au président deux choses assez extraordinaires : qu’il avoit quatre-vingts ans, et que depuis l’âge de vingt ans il n’avoit pas eu la moindre petite incommodité ; et l’autre, qu’il venoit de partager neuf millions à ses enfants, après s’être gardé quarante mille livres de rente. « Pour vos neuf millions, je ne vous les envie pas ; mais pour vos soixante ans de santé, j’avoue qu’il n’est rien que je ne donnasse pour cela. » Ce bonhomme, à quatre-vingts ans, alloit encore voir les mignonnes ; il ne leur donnoit autrefois qu’un écu-quart ; mais quand les quarts-d’écus valurent vingt sous, il leur donna quatre livres. De ces enfants, dont il a parlé, il y en avoit qui,

  1. Nicolas Le Camus, secrétaire du Roi en 1617, conseiller d’État en 1620, mort à l’âge de quatre-vingts ans en 1688, laissant de Marie Colbert, sa femme, morte en 1642, six fils et quatre filles. Marie Le Camus, l’une d’elles, avoit épousé Michel Particelli, seigneur d’Emery. Le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, et le lieutenant-civil au Châtelet de Paris, du même nom, étoient leurs petits-fils.