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fille du président Le Cogneux, qui étoit ici chez une madame Du Boulay, pendant que son père étoit en Angleterre, avec la feue Reine-mère. M. d’Emery ne voulut jamais souffrir qu’il l’épousât ; et pour lui faire oublier cette maîtresse, il le fit venir à Turin, où il étoit ambassadeur auprès de Madame[1], un peu après la mort du duc de Savoie. Ce fut là que Toré, car il portoit le nom d’une terre de la maison de Montmorency, fit sa première folie. Il devint amoureux de Madame, et se cacha dans sa chambre pour tenter la fortune après que tout le monde seroit sorti. À peine Madame fut-elle seule, qu’il se jette sur le lit ; elle le reconnut, car il y a toujours de la lumière dans la chambre des princesses comme elle[2] ; elle cria ; on le mit dehors. Son père, dès la même nuit, le fit passer en France. Lui, pour s’excuser, disoit tantôt qu’il avoit la fièvre chaude, tantôt qu’il étoit amoureux d’une des filles de Madame, et qu’il avoit pris une chambre pour l’autre ; la vérité est qu’il étoit fou, mais qu’il ne l’étoit pas toujours.

Il a fait quelques éclipses, et, en celle de 1644, on dit qu’il étoit amoureux d’une épingle jaune ; qu’il l’avoit fait dorer, et qu’il lui rendoit tous les devoirs qu’on

  1. Christine de France, fille de Henri IV, duchesse de Savoie.
  2. On appelle ce flambeau-là le mortier. (T.) — « On appelle, chez le roi, mortier de veille, un petit vaisseau d’argent ou de cuivre, qui a de la ressemblance au mortier à piler ; il est rempli d’eau où surnage un morceau de cire jaune, ayant un petit lumignon au milieu, et ce morceau de cire, s’appelle aussi mortier. On l’allume quand le roi est couché, et il brûle toute la nuit dans un coin de sa chambre, conjointement avec une bougie, qu’on allume dans le même temps dans un flambeau d’argent au milieu d’un bassin d’argent qui est aussi à terre. » (Dictionnaire de Trévoux.)