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le combat. On m’a dit aussi qu’en je ne sais quel voyage le Roi se mit au lit dès sept heures. Il étoit fort négligé ; à peine avoit-il une coiffe à son bonnet. Deux grands chiens sautent aussitôt sur le lit, le gâtent tout, et se mettent à baiser Sa Majesté. Il envoya déshabiller M. le Grand, qui revint paré comme une épousée : « Couche-toi, couche-toi, » lui dit-il d’impatience. Il se contenta de chasser les chiens sans faire refaire le lit, et ce mignon n’étoit pas encore dedans, qu’il lui baisoit déjà les mains. Dans cette grande ardeur, comme il ne trouvoit pas que M. le Grand y correspondît trop, car il avoit le cœur ailleurs, il lui disoit : « Mais, mon cher ami, qu’as-tu ? que veux-tu ? tu es tout triste. De Niert[1], demande-lui ce qui le fâche ; dis-moi, as-tu jamais vu une telle faveur ? » Il le faisoit épier pour savoir s’il alloit en cachette quelque part.

M. le Grand avoit été amoureux de Marion de Lorme plus qu’il ne l’étoit alors. Une fois, comme il alloit la trouver en Brie, il fut pris pour un voleur par des gens qui effectivement couroient après des voleurs. Ils l’attachèrent à un arbre, et, sans quelqu’un qui le reconnut, ils l’eussent mené en prison. Madame d’Effiat eut peur qu’il n’épousât cette fille, et eut des défenses du Parlement. Il a fait enrager sa mère quelque temps, car elle étoit avare, et lui, par dépit, changeoit d’habit quatre fois le jour, et l’alloit voir autant de fois. Elle étoit pourtant revenue de cette aversion depuis qu’il étoit en faveur. Elle pouvoit bien l’aimer,

  1. Premier valet-de-chambre. (T.) — Il étoit premier valet de garde-robe.