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pour faire avancer le monde à mesure qu’on avoit contemplé cette nouvelle infante. Madame d’Aiguillon prenoit le soin d’envoyer tous les habits qu’il falloit pour cette fille, qui se vante que le maréchal la voulut épouser secrètement, et lui assurer vingt mille livres de rente, mais qu’elle avoit trop de cœur pour souffrir du clandestin. Elle eût pourtant fort bien fait, comme vous verrez par la suite ; mais je doute qu’en l’âge où elle étoit, elle ait pu avoir tant de courage.

Mademoiselle Dervois rompit le cou à cette amourette. Le marquis de Boissy, père du duc de Rouannez d’aujourd’hui, en conta aussi à Honorée. Il y eut quelques billets que la Dervois escamota, et les fit voir au maréchal. La sénéchale avoit toujours espéré que sa nièce se marieroit pour sa beauté. La fille m’a conté elle-même que sa tante lui fit faire une robe neuve, à elle qui n’avoit jamais eu que de la vieillerie, pour donner dans la vue à je ne sais quel prince allemand qui étoit à Saumur. Cette tante proposa à madame Bigot, qui n’avoit garde de le faire, de marier Honorée avec M. Servien, relégué à Angers. Servien, qui déjà avoit failli de se brouiller avec le maréchal en je ne sais quelle galanterie, n’avoit pas seulement voulu voir cette fille, de peur d’irriter le dragon.

Depuis, Honorée se trouva à Poitiers, quand Chemerault, aujourd’hui madame de La Bazinière, y vint après avoir été chassée de chez la Reine. Il y avoit encore une mademoiselle de La Vacherie, et une autre belle fille. Chemerault avoit un grand avantage, car elle avoit le bel air. Mais M. de Châteauneuf (il étoit alors éloigné de la cour) se déclara pour La Vacherie, et Villemontée, intendant de la province, pour Hono-