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comme on parla au conseil de ce livre, dit : « C’est un livre qui rend la Pucelle ridicule. » Cependant, à l’Académie, il fit excuse à Chapelain d’avoir signé le privilége, et dit que ç’avoit été par surprise. Enfin, le procès des deux libraires s’accommoda.

M. Chapelain se pique de savoir mieux la langue italienne que les Italiens même. Il perdit pourtant une gageure contre Ménage, au jugement de l’Académie de la Crusca, à qui ils écrivirent tous deux en italien, et qui les fit tous deux de leur corps. Depuis peu il arriva encore une chose plaisante sur l’italien. Raincys avoit fait un madrigal dont voici la fin, car il n’y a que cela de bon :

Si vous ne voulez voir que j’aime,
Voyez pour le moins que je meurs.


Ce monsieur étoit le plus satisfait du monde de son madrigal, et tout le samedi[1] en avoit bien battu des mains. Ménage, qui en est un peu, s’avisa pour rire de faire un madrigal italien en style pastoral qui disoit à peu près la même chose ; il le donna et dit qu’il l’avoit trouvé dans les rime du Tasse. Après que Raincys eut bien fait des serments qu’il n’avoit volé cette pensée à personne, Ménage lui avoua la malice ; mais, pour s’en divertir d’autant plus, il envoya le françois et l’italien à M. Chapelain, afin d’en avoir son jugement. M. Chapelain, qui est toujours pour les vivants, étoit bien empêché. Il honore la mémoire du

  1. Le samedi, c’est-à-dire la coterie littéraire qui se réunissoit tous les samedis chez mademoiselle de Scudéry.