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lui dit : « Allez chez Bardin. » Bardin n’en savoit pas plus que l’autre. Pour la troisième fois, La Vieuville lui dit : « Allez chez le trésorier de l’Épargne qui est en exercice, il y a arrêt pour cela. — Monsieur, répond Vaugelas, il ne faut point d’arrêt pour cela, c’est une pension. — Allez seulement, » dit La Vieuville. Il se trouva qu’il le prenoit pour l’agent du roi de Bohême, à qui, en ce temps-là, on fit toucher trente-cinq mille livres.

Toute sa vie le pauvre M. de Vaugelas, qui étoit crédule, a toujours donné des avis assez saugrenus. Une fois on lui persuada qu’il y auroit un grand profit à nourrir des anguilles dans un étang ; il en vouloit demander le don au Roi. Il venoit tous les jours débiter à l’hôtel de Rambouillet des nouvelles où il n’y avoit aucune apparence, et il croyoit quasi tout ce qu’il entendoit dire.

Madame de Carignan, qui le connoissoit, le voulut avoir pour gouverneur de ses enfants, dont l’aîné, qui est mort à cette heure, étoit sourd et muet, et l’autre bègue, de telle sorte qu’il n’a pas la voix articulée ; pour le troisième, aujourd’hui M. le comte de Soissons, il parloit, mais sa mère ne vouloit pas qu’il parlât, mais bien les autres. Alors il portoit la soutane. Elle les faisoit mener en visite ; ils étoient tous deux comme des idoles.

« Quelle destinée, disoit madame de Rambouillet, pour un homme qui parle si bien et qui peut si bien apprendre à bien parler, d’être gouverneur de sourds et de muets ! » Un Catalan entreprit de faire parler le sourd-muet ; dans son opération il ne vouloit point de témoins. On croit qu’en lui mettant les