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ne vouloit pas dormir profondément ; elle se faisoit veiller par un médecin et des filles, tour à tour. Ces gens faisoient de temps en temps quelque petit bruit, et tenoient une bougie allumée en un lieu où elle la pût voir en ouvrant les yeux. Pour cela elle avoit toujours ses rideaux levés. Menjot, médecin, son ami, l’a défaite de cela ; mais ce n’est que depuis la Saint-Jean 1665.

Comme la marquise de Sablé et la comtesse de Maure logeoient ensemble à la Place-Royale, elles étoient quelquefois trois mois sans se voir, et elles se visitoient par écrit, comme nous venons de le dire. Le moindre rhume rompoit tout commerce. La comtesse avoit la migraine et quelque fluxion il y avoit quinze jours, et la marquise croyoit être enrhumée. L’abbé de La Victoire se mit en tête de faire une malice à la marquise : « Il est fâcheux, lui dit-il, que vous ne puissiez sortir de votre chambre, car votre amie auroit grand besoin de vous ; son mari et elle se brouillent fort, vous les remettriez bien ensemble ; sans vous ils courent fortune d’en venir à une séparation. — Jésus ! que dites-vous ? s’écria-t-elle ; mais comment faire ? Le moyen de passer mon antichambre, ce grand escalier, cette halle de salle ? — Il y faut penser, » reprit-il. Et après avoir fait semblant de rêver quelque temps : « N’ai-je pas vu là-haut, ajouta-t-il, un pavillon sur le lit de votre cuisinière ? Mettez-vous dessous, on le soutiendra avec un bâton, vous ne prendrez point l’air. » Elle le crut : on apporte le pavillon, la voilà dessous. Trois de ses gens portoient le bas du pavillon. La comtesse est bien surprise de voir entrer cette machine dans sa chambre. « M’amour, lui dit la marquise,