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pourroient gagner ce mal, et il y a quelque chose au Pont-Rouge[1] qui craque. » Enfin, quoiqu’elle logeât au faubourg Saint-Honoré, elle va passer par-dessus le pont Notre-Dame[2].

Dans un temps qu’on parloit un peu de peste à Paris, elle crut avoir besoin de faire une consultation. Elle fit venir trois médecins auxquels on donna à chacun une robe-de-chambre, au lieu de leur manteau ; puis on les fit asseoir près de la porte d’une grande salle, au bout de laquelle étoit la marquise sur un lit ; et mademoiselle de Chalais alloit leur faire la relation du mal de madame, et rapportoit à madame leur sentiment, sans que jamais elle leur permît d’approcher d’un pas[3].

Une fois elle voulut faire faire son horoscope ; elle dit six ans moins qu’elle n’avoit. Mademoiselle de Chalais lui dit : « Madame, on ne sauroit faire ce que vous voulez, si vous ne dites votre âge au juste. — Il se moque, il se moque, ce monsieur l’astrologue, ré-

  1. Pont de bois peint en rouge, qui alloit de la galerie du Louvre à la rue de Beaune. Construit en 1632, il fut emporté par les glaces en 1684, et pour en tenir lieu, on construisit le Pont-Royal, en face de la rue du Bac.
  2. Dans cette visite, elle dit de mademoiselle de Guébriant (elle est morte fille de la Reine) : « Cette fille a de beaux endroits, a de l’esprit, mais quelquefois cet esprit fait des chutes si effroyables, qu’il est en danger de se rompre le cou. » (T.)
  3. La crainte exagérée que la marquise de Sablé avoit des maladies contagieuses est bien peinte dans une lettre que lui écrit Voiture pour lui annoncer que le fils de madame de Rambouillet est mort de la peste : « Sachez donc, lui dit-il, que moi qui vous écris, ne vous écris point, et que j’ai envoyé cette lettre à vingt lieues d’ici, pour être copiée par un homme que je n’ai jamais vu. » (Lettre quatorzième de Voiture.)