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soir qu’il sortoit assez tard de chez madame de Chevreuse : « Ne laissons pas, dit-il, d’aller chez ma nièce ; car que diroit-elle si je n’y allois ? » La Reine-mère envoya des gens pour l’enlever comme elle devoit aller à Saint-Cloud, afin de mettre le cardinal à la raison, quand elle auroit ce qu’il aimoit tant ; mais Besançon découvrit toute l’entreprise.

Ce qui a le plus fait de bruit, ce fut l’aventure de madame de Chaulnes. Voici comment une personne qui y étoit l’a contée. Sur le chemin de Saint-Denis, six officiers du régiment de la marine, qui étoient à cheval, voulurent casser deux bouteilles d’encre sur le visage de madame de Chaulnes ; mais elle mit la main devant, et tout tomba sur l’appui de la portière où elle étoit. C’étoient des bouteilles de verre. Le verre coupe, et l’encre entre dedans les coupures et cela ne s’en va jamais. Madame de Chaulnes n’en osa faire aucune plainte. On croit qu’ils n’avoient ordre que de lui faire peur. Madame d’Aiguillon, soit par jalousie d’amour ou d’autorité, ne vouloit point que personne fût si bien qu’elle avec son oncle. Le cardinal ne faisoit pas trop grand cas de madame de Chaulnes ; elle n’étoit plus dans une grande jeunesse ; sa beauté déclinoit, et le reste n’étoit pas grand’chose. Il témoigna assez ce qu’il en pensoit un jour qu’il étoit à Chaulnes, durant le siége d’Arras : il trouva que madame de Chaulnes s’é-

    avoit encore trois maîtresses qu’il entretenoit, dont la première étoit sa nièce… ; la seconde étoit la Picarde, savoir, la femme de M. le maréchal de Chaulnes… ; la troisième étoit une certaine belle fille Parisienne, nommée Marion de Lorme.... Tant y a que ces messieurs les bonnets rouges sont de bonnes bêtes : Verò cardinales isti sunt carnales. » (Lettres choisies de feu M. Guy-Patin ; Roterdam, 1725, tom. 1, p. 5 ; lettre du 3 novembre 1649.)