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rendit muet cet éloquentissime Antoine Arnauld. C’étoit un homme à lieux communs ; il avoit je ne sais combien de volumes de papier blanc, où il faisoit coller par son libraire les passages des auteurs tout imprimés qu’il coupoit lui-même et les réduisoit sous certains titres. À cela il ne faut que deux exemplaires de chaque auteur, ou, pour mieux dire, trois, si on veut avoit l’auteur tout entier à part ; mais aussi on n’a que faire d’écrire et de copier.

Il y eut un jeune avocat huguenot, nommé de Pleix, qui ne manquoit pas d’esprit, mais pour du jugement, il n’en avoit pas plus qu’il lui en falloit. Ce jeune homme eut à plaider contre Antoine Arnauld, qui étoit pour MM. de Montmorency. Arnauld étala toutes les batailles que ceux de Montmorency avoient données, et dit que le connétable Anne s’étoit trouvé en je ne sais combien de batailles rangées. De Pleix fit un factum, où il se moquoit de l’autre, et dit qu’il prouvoit une péremption d’instance par une bataille rangée. La république de Gênes y entroit peut-être aussi. Cela fit assez rire le monde, car il y avoit bien de la médisance. Arnauld s’en plaignit, et il fut ordonné que l’autre viendroit lui en faire satisfaction à huis-clos. De Pleix, quand ils furent là, dit : « Messieurs, j’ai fait une sottise, il faut que je la boive ; faites ouvrir, cela sera plus exemplaire pour la jeunesse, à huis-ouverts qu’à huis-clos » ; et, en pleine audience, il pria Arnauld de lui pardonner. Mais il fit ensuite un méchant tour à la famille, car il se mit à rechercher dans les registres de la chambre des comptes, et fit voir qu’on avoit enregistré des brevets de pension pour services rendus par des enfans de la famille qui