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voit toujours moyen d’y entrer ; enfin, ils en eurent querelle, et Voiture alla ailleurs.

À propos de querelle, la plus grande que mademoiselle Paulet ait jamais eue contre personne a été contre Voiture. Comme il étoit en Espagne, mademoiselle Paulet, en dessein de le divertir, lui envoyoit sans grand discernement tout ce qu’elle pouvoit recueillir. Ces gros paquets lui coûtoient bon : cela commença à l’ennuyer, et peut-être le témoigna-t-il ; d’ailleurs, il ne prenoit pas plaisir à voir que M. Godeau, et que M. de Chandeville[1], grand garçon bien fou et neveu de Malherbe, c’est-à-dire versificateur, se fussent si bien mis dans l’esprit de mademoiselle Paulet, et peut-être de mademoiselle de Rambouillet, en son absence. Il lui fit une insolence, le propre jour qu’il revint de Flandre. Il lui avoit écrit qu’il arriveroit un tel jour, et qu’il seroit ravi de la voir, le jour même, en l’hôtel de Rambouillet. En la remerciant le soir, il ne put s’empêcher de lui parler de Chandeville, l’appeloit cet Adonis, et y mêla peut-être quelque mot de Vénus. La lionne se mit en fureur ; ils furent deux ans sans se voir ; enfin, il y retourna, mais elle ne lui a jamais pardonné[2]. On dit encore, mais je ne sais si ceci arriva devant ou après, qu’une fois qu’il étoit chez elle, il lui prit un tel chagrin de ce qu’il étoit venu

  1. Éléazar de Sarcilly, sieur de Chandeville, né en 1611, et mort en 1633. (Origines de la ville de Caen, par Huet ; Rouen, 1706, pag. 397.) On a conservé de lui quelques vers ; ils se trouvent dans le Recueil de diverses poésies ; Paris, Chamhoudry, 1651, Étienne Loyson, 1661, ou Pierre Trabouillet, 1670.
  2. Ceci vient de mademoiselle de Scudery, à qui mademoiselle Paulet l’a dit. (T.)