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au moins les grosses ordures. Il sembloit qu’il craignît cela, car il disoit à madame de Rambouillet, six mois avant que de mourir : « Vous verrez qu’il y aura quelque jour d’assez sottes gens pour aller chercher çà et là ce que j’ai fait, et après le faire imprimer ; cela me fait venir quelque envie de le corriger. » Il faut avouer aussi qu’il est le premier qui ait amené le libertinage[1] dans la poésie ; avant lui personne n’avoit fait des stances inégales, soit de vers, soit de mesure. Corneille est aussi celui qui a gâté le théâtre par ses dernières pièces, car il a introduit la déclamation.

Voiture avoit une plaisante erreur : il croyoit qu’ayant réussi en galanterie, il feroit de même en toute autre chose, et qu’à un homme de bon sens, quand il étoit nécessaire, toutes les connoissances venoient sans étudier. Aussi il n’étudioit quasi jamais. Il étoit fort divertissant, quand il n’étoit pas tout-à-fait amoureux, et qu’il ne faisoit que dire des galanteries ; mais quand il étoit bien épris, c’étoit un stupide. Il étoit si sujet à en conter, que j’ai ouï dire à mademoiselle de Chalais[2] que, comme elle étoit auprès de mademoiselle de Kerneva, et qu’il la venoit voir, il en vouloit conter à mademoiselle de Kerneva qui n’avoit que douze ans. Elle l’en empêcha, mais elle l’en laissa dire tout son soûl à la cadette qui n’en avoit que sept. Après elle lui dit : « Il y a encore une fille là-bas, dites-lui un mot en passant. »

On sait quelles obligations il avoit au cardinal de

  1. Ce mot est pris ici dans le sens de la négligence des règles établies ; ce qui suit le fait bien entendre.
  2. C’étoit le nom de la demoiselle de compagnie de madame de Sablé. (Voyez l’article Sablé.)