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conseiller d’état, qu’il avoit de grands appointemens, et que si on ôtoit les sceaux à M. Séguier, il y avoit pour le moins aussi bonne part qu’un autre. Il ne l’alloit voir qu’en carrosse, car il en avoit tantôt de l’hôtel de Soissons, tantôt de l’hôtel de Rambouillet, et tantôt du comte de Guiche. Cette innocente, persuadée que Croisilles disoit vrai, reçoit un si bon parti à bras ouverts. Il la pria que tout se fît secrètement, « parce que, disoit-il, j’ai un neveu qui attend ma succession, et je ne veux pas qu’il me trouble en cette affaire. » On passe le contrat, où il ne mena que son valet, nommé Élie Pilot, qu’il fit passer pour un honnête homme de ses amis. Durant la lecture du contrat, il avoit mis son mouchoir sur sa tête, feignant d’avoir chaud, et en tenoit les glands dans sa bouche. Il s’imaginoit par ce moyen qu’on ne remarqueroit pas les traits de son visage. On jeta les bans, sous le nom d’Élie Pilot, car il se nomma toujours du nom de son valet, et signa de même ; mais son valet, comme témoin, signa Jean-Baptiste Croisilles. Il eut permission de se marier à Linas, entre Paris et Étampes. Il part à midi, y va coucher, et de peur d’être reconnu dans une hôtellerie, il fit si bien avec de l’argent qu’il gagna le jardinier d’un M. Du Puy, de Paris, qui a une maison dans ce bourg, et y coucha. Il se maria le lendemain matin, et revint coucher à Paris. Il mena sa femme dans le logis de sa belle-mère, et leur fit trouver bon qu’il s’en revînt chez lui ; mais il laissa son valet avec elle. Il n’y coucha jamais ; il y alloit souvent, et demeuroit seul avec sa femme. Pilot y couchoit toutes les nuits.

Cela dura près d’un an, sans que personne en sût