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par bonheur, et pour trois sous elle fut mariée à un vieillard qui avoit quelque chose. Depuis, ce bon homme étant mort, elle en attrapa encore un autre qui la crut une personne de condition, parce qu’elle avoit une suivante ; mais cette suivante, c’étoit sa fille. Après elle fit venir ici sa cadette, dont Croisilles ne se tourmenta pas plus que de l’aînée. Cette fille avoit eu quelques aventures dans la province. Un jour qu’elle alloit à la campagne à cheval avec un de ses amis (cela est ordinaire en Languedoc, où l’on est plus libre qu’ici), elle passa par des landes qui durent environ deux lieues, de sorte qu’on n’y pouvoit être secouru, en façon quelconque. Par malheur elle fut rencontrée par quelques chevau-légers d’une compagnie qui avoit eu son quartier d’hiver auprès de Béziers. Ceux-ci la voulurent traiter de g...., et d’autant plutôt qu’ils la trouvèrent assez libre, et qu’elle chanta, quand ils l’en prièrent. Ils la voulurent emmener de force, et elle étoit bien empêchée, quand elle aperçut un gentilhomme qui venoit à eux. Ce cavalier avoit la mine d’une personne de qualité. Elle court au-devant de lui, demande sa protection ; mais elle s’étoit mal adressée, car c’étoit un officier de la même compagnie qui, l’ayant vue de loin, avoit envoyé ces gens devant pour l’arrêter, et lui s’étoit caché tout exprès pour quelque temps. Ce gentilhomme la pressoit plus que les autres, quand elle lui dit qu’il prît bien garde à ce qu’il feroit, qu’elle appartenoit à des personnes de condition, qu’elle étoit parente de madame de La Braigne : or cette dame étoit respectée en ce pays-là, et cet officier la connoissoit fort. « Je me soumets, lui dit-elle, à tout ce qu’il vous plaira, si elle ne m’avoue pour sa parente ; faites-en