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ce seroit bien le moyen d’être payé. » En effet, M. de Montausier est un homme tout d’une pièce ; madame de Rambouillet dit qu’il est fou à force d’être sage. Jamais il n’y en eut un qui eût plus de besoin de sacrifier aux Grâces. Il crie, il est rude, il rompt en visière, et s’il gronde quelqu’un, il lui remet devant les yeux toutes ses iniquités passées. Jamais homme n’a tant servi à me guérir de l’humeur de disputer. Il vouloit qu’on fît deux citadelles à Paris, une au haut et une au bas de la rivière, et dit qu’un roi, pourvu qu’il en use bien, ne sauroit être trop absolu, comme si ce pourvu étoit une chose infaillible. À moins qu’il ne soit persuadé qu’il y va de la vie des gens, il ne leur gardera pas le secret. Sa femme lui sert furieusement dans la province. Sans elle la noblesse ne le visiteroit guère : il se lève là à onze heures comme ici, et s’enferme quelquefois pour lire, n’aime point la chasse, et n’a rien de populaire. Elle est tout au rebours de lui. Il fait trop le métier de bel esprit pour un homme de qualité, ou du moins il le fait trop sérieusement. Il va au Samedi fort souvent[1]. Il a fait des traductions ; regardez le bel auteur qu’il a choisi : il a mis Perse en vers français. Il ne parle quasi que de livres, et voit plus régulièrement M. Chapelain et M. Conrart que personne. Il s’entête, et d’assez méchant goût ; il aime mieux Claudian que Virgile. Il lui faut du poivre et de l’épice. Cependant, comme nous dirons ailleurs, il goûte un poème qui n’a ni sel si sauge : c’est la Pucelle, par cela seulement qu’elle est de Chapelain. Il a une belle bibliothèque à Angoulême.

  1. Une assemblée chez mademoiselle Scudéry. (T.)