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qui empêchoit de le bien goûter. Je vous laisse à penser s’il en avoit du meilleur : tous les gens d’affaires se tuoient à lui en chercher. Il avoit des cerneaux tout le long de l’année, et toujours de la poudre de champignons dans sa poche. Il n’avoit que peu de gens à crapuler avec lui ; Senecterre en étoit toujours, et, quand ils sortoient de Paris, le bon homme de Montbazon, exprès pour avoir des gardes ; car, comme gouverneur de Paris, il avoit toujours quelqu’un. Ce n’étoit pas comme à cette heure qu’on en a donné cinquante au maréchal de L’Hôpital.

Madelenet[1] s’avisa, quoique Bullion n’aimât pas les vers, de lui faire une ode latine. Il y avoit une comparaison au commencement qui me fit bien rire. Il le comparoit à un petit baril bien plein, et il disoit qu’un baril bien plein ne porte point envie à l’abondance de la mer, et que Bullion, se contentant de ce qu’il avoit, ne portoit point envie aux trésors des rois. Voyez la grande modération de cet homme ! il se contentoit de huit millions, et d’être président au mortier. Il est vrai que sa charge étoit une charge nouvelle, et il ne la faisoit point. Une autre chose fut encore assez plaisante. Il acheta une chapelle à Saint-Eustache. Le peintre qui la peignit et la dora vint un jour lui parler. « Allez, mon ami, allez (car il commençoit toujours ainsi) : que voulez-vous ? — Monsieur, c’est pour votre chapelle. — Eh bien, mon ami, ma chapelle ? — Monsieur, c’est qu’on a accoutumé de les dédier à quelque saint. — Eh bien, mon ami, à

  1. Gabriel Madelenet, poète latin du XVIIe siècle, mourut en 1661. Le comte de Brienne a recueilli ses vers, et les a publiés en 1662.