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d’où cela me vient, mais le cœur me dit que vous tuerez une femme. » Le marquis fit bien un plus étrange pronostic en s’en allant à la Valteline ; car il dit à mademoiselle de Rambouillet qu’il seroit tué cette campagne-là, et que son frère, plus heureux que lui, l’épouseroit. En effet, il reçut un coup de pierre à la tête dont il mourut. On le vouloit trépaner : « Je ne le souffrirai pas, dit-il, il y a assez de fous au monde sans moi. » Ce cavalier étoit né pour la cour ; il étoit bien fait et avoit l’esprit accort. Il a été, dit-on, le premier qui ait pris la perruque. Il n’avoit pas assez de cheveux ; il se les fit couper, et prit pour valet-de-chambre un perruquier. Il étoit si ambitieux, qu’il avouoit en riant qu’il n’y avoit personne au monde qu’il ne laissât pendre volontiers, s’il ne tenoit qu’à cela qu’il eût un royaume[1]. À cause de cette ambition, madame de Rambouillet l’appela el Rey de Georgia, sur la nouvelle qui vint qu’un particulier s’étoit fait roi de ce pays-là.

J’ai appris que, comme ami intime du cardinal de La Valette, il s’étoit rendu fort familier à l’hôtel de Condé, et que mademoiselle de La Coste lui avoit fort servi à se mettre bien dans l’esprit de mademoiselle de Bourbon. Il fut sa première inclination. M. le comte (de Soissons), qui la vouloit épouser en ce temps-là, en

  1. Voiture lui écrivoit : « Il me déplaît de penser qu’avec toute cette tendresse que vous me témoignez, il y a quelque occasion pour laquelle vous voudriez que je fusse pendu...... Je désire… avec tant de passion que vous ayez tout ce que vous méritez, que s’il ne tenoit qu’à cela que vous eussiez un royaume, sans mentir je crois que j’y consentirois aussi bien que vous. » (Lettre quarante-sixième de Voiture.)