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ont aujourd’hui, car il n’y a plus guère de civilité. Elle est un peu trop délicate, et le mot de teigneux dans une satire, ou dans une épigramme, lui donne, dit-elle, une vilaine idée. On n’oseroit devant elle prononcer le mot de cul. Cela va dans l’excès, surtout quand on est en liberté. Son mari et elle vivoient un peu trop en cérémonie.

Hors qu’elle branle un peu la tête, et cela lui vient d’avoir trop mangé d’ambre autrefois, elle ne choque point encore, quoiqu’elle ait près de soixante-dix ans[1]. Elle a le teint beau, et les sottes gens ont dit que c’étoit pour cela qu’elle ne vouloit point voir le feu, comme s’il n’y avoit point d’écrans au monde. Elle dit que ce qu’elle souhaiteroit le plus pour sa personne, ce seroit de se pouvoir chauffer tout son saoul. Elle alla à la campagne l’automne passé, qu’il ne faisoit ni froid ni chaud ; mais cela lui arrive rarement, et ce n’étoit qu’à une demi-lieue de Paris. Une maladie lui rendit les lèvres d’une vilaine couleur ; depuis elle y a toujours mis du rouge. J’aimerois mieux qu’elle n’y mît rien. Au reste, elle a l’esprit aussi net, et la mémoire aussi présente que si elle n’avoit que trente ans. C’est d’elle que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j’ai écrit et de ce que j’écrirai dans ce livre. Elle lit toute une journée sans la moindre incommodité, et c’est ce qui la divertit le plus. Je la trouve un peu trop persuadée, pour ne rien dire de pis, que la maison des Savelli est la meilleure maison du monde.

  1. Elle a vécu soixante-dix-huit ans, et n’avoit rien de dégoûtant. (T.) — La marquise de Rambouillet mourut le 27 décembre 1665 ; ainsi Tallemant a écrit en 1657 cette partie de ses Mémoires.