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tion, le crut. Elle lui fit mille civilités à sa mode, et le remercia surtout de ce qu’étant jeune et bien fait, il ne dédaignoit pas de venir visiter la pauvre vieille[1]. Le chevalier, qui avoit de l’esprit, lui fit bien des contes. Elle étoit ravie de le voir d’aussi belle humeur, et disoit à Jamyn, voyant que sa chatte miauloit : « Faites taire ma mie Piaillon, pour écouter M. de Racan. » Dès que celui-là fut parti, Yvrande arrive, qui, trouvant la porte entr’ouverte, dit en se glissant : « J’entre bien librement, mademoiselle, mais l’illustre mademoiselle de Gournay ne doit pas être traitée comme le commun. — Ce compliment me plaît, s’écria la pucelle. Jamyn, mes tablettes, que je le marque. — Je viens vous remercier, mademoiselle, de l’honneur que vous m’avez fait de me donner votre livre. — Moi, monsieur, reprit-elle, je ne vous l’ai pas donné, mais je devrois l’avoir fait. Jamyn, une Ombre pour ce gentilhomme. — J’en ai une, mademoiselle ; et pour vous prouver cela, il y a telle et telle chose en tel chapitre. » Après, il lui dit qu’en revanche il lui apportoit des vers de sa façon ; elle les prend et les lit. « Voilà qui est gentil, Jamyn, disoit-elle ; Jamyn en peut être, monsieur, elle est fille naturelle d’Amadis Jamyn[2], page de Ronsard. Cela est gentil ; ici vous Malherbisez, ici vous Colombisez ; cela est gentil.

  1. Mademoiselle de Gournay étoit née en 1566. Elle publia en 1626 le volume qui a pour titre : L’Ombre de la demoiselle de Gournay. Ce livre venoit de paroître, ainsi elle devoit avoir environ soixante ans. (Voyez plus bas l’article de mademoiselle de Gournay.)
  2. Amadis Jamyn, poète françois du seizième siècle, fut en effet reçu par Ronsard dans sa propre maison, et traité par lui comme s’il eût été son fils. Les ouvrages d’Amadis Jamyn sont rares et recherchés. Né vers 1540, il est mort vers 1585.