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est de ce temps-là. Il dit que les comédies de Hardy qu’il voyoit représenter à l’Hôtel de Bourgogne, où il entroit sans payer, l’excitoient fort. Il dit aussi qu’il avoit de qui tenir, car son père et sa mère faisoient tous deux des vers ; il est vrai qu’ils n’étoient guère bons, mais ceux du père valoient encore moins. Il en avoit un gros volume. Il n’a jamais su le latin ; et cette imitation de l’ode d’Horace, Beatus ille, etc., est faite sur la traduction en prose que lui en fit le chevalier de Bueil, son parent, qui s’étoit chargé de la mettre en vers françois.

Jamais la force du génie ne parut si clairement en un auteur qu’en celui-ci ; car, hors ses vers, il semble qu’il n’ait pas le sens commun. Il a la mine d’un fermier ; il bégaie, et n’a jamais pu prononcer son nom, car, par malheur, l’r et le c sont les deux lettres qu’il prononce le plus mal. Plusieurs fois il a été contraint d’écrire son nom pour le faire entendre. Bon homme du reste et sans finesse, étant fait comme je vous le viens de dire.

Le chevalier de Bueil et Yvrande, sachant qu’il devoit aller sur les trois heures remercier mademoiselle Gournay, qui lui avoit donné son livre[1], s’avisèrent de lui faire une malice, et à la pauvre pucelle aussi. Le chevalier y va à une heure. Il heurte ; Jamyn va dire à mademoiselle qu’un gentilhomme la demandoit. Elle faisoit des vers ; et en se levant, elle dit : « Cette pensée étoit belle, mais elle pourra revenir, et ce cavalier peut-être ne reviendroit pas. » Il dit qu’il étoit Racan ; elle, qui ne le connoissoit que de réputa-

  1. Elle ne l’appeloit jamais autrement que le singe de Malherbe. Elle en donna même un exemplaire à Malherbe, quoiqu’elle le haït à mort. (T.)