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troit. Boisrobert le trouva une fois à Tours ; la cour y étoit alors. Il étoit après à faire une chanson pour je ne sais quel petit commis qui lui avoit promis de lui prêter deux cents livres. Boisrobert les lui prêta. Il a logé long-temps dans un cabaret borgne, d’où M. Conrart le voulant faire déloger : « Je suis bien, je suis bien, lui dit-il ; je dîne pour tant, et le soir on me trempe pour rien un potage. » Il avoit toujours quelque chose de madame de Bellegarde, dont à la fin il hérita de vingt mille livres de rente en fonds de terre, de quarante qu’elle avoit. Elle étoit de la maison de Bueil. Racan étoit marié quand cette succession lui vint.

J’ai dit aussi comme il s’attacha à Malherbe. Il profita si bien sous un si bon maître, qu’il lui donna de la jalousie. En effet, on a accusé Malherbe d’en avoir eu un peu pour cette belle stance de la Consolation à M. de Bellegarde sur la mort de M. de Termes, son frère. La voici :

Il voit ce que l’Olympe a de plus merveilleux ;
Il y voit à ses pieds ces flambeaux orgueilleux
Qui tournent à leur gré la fortune et sa roue,
Et voit comme fourmis marcher nos légions
Dans ce petit amas de poussière et de boue,
Dont notre vanité fait tant de régions[1].


Et on dit que, par malice, il n’avertit pas Racan que dans une autre stance il faisoit Amour, divinité et passion tout ensemble. Racan faisoit des vers, étant page. Cette pièce, qui commence :

Vieux corps tout épuisé de sang et de moelle, etc.[2],

  1. Œuvres de Racan, Paris, Coustelier, 1724, t. 2, p. 198.
  2. Stance contre un vieillard jaloux. (Ibid. t. 2, p. 182.)