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vêque de Bordeaux, et pour cela fut mis à la Bastille, où il demeura long-temps. Cet archevêque se pouvoit vanter d’être le prélat du monde qui avoit été le plus battu, car M. d’Épernon l’avoit déjà frappé à Bordeaux. Il faut voir la Vie de ce duc, où cela est tout du long[1].

Depuis, quand M. le Grand étoit déjà suspect au cardinal de Richelieu, l’Éminentissime s’aperçut que l’archevêque regardoit ce jeune homme comme un soleil levant. Voici comme il s’en douta. Un jour qu’il avoit dit à l’archevêque : « Allons à la comédie, » l’archevêque avoit donné un tour de pilier[2], et avoit dit à quelqu’un qu’il se trouvoit mal. Le cardinal, le lendemain, envoie savoir comment il se portoit. L’autre répondit qu’il avoit travaillé toute la nuit chez Picard avec Loynes. Le jour même, le cardinal sut que cela étoit faux. Il crut que l’archevêque avoit été ailleurs : « Ah ! c’est un brouillon, dit-il ; allez, monsieur de Loynes, allez lui dire que je veux qu’il parte pour l’armée navale dans trois jours. » L’archevêque voulut s’excuser, mais il fallut partir.

Loynes m’a dit que M. de Bullion, qui haïssoit l’archevêque, disoit à quelqu’un, pensant que Loynes ne l’entendoit pas : « Il faut chasser ce b.....-là. Un tel dira ceci, un tel cela ; moi je dirai telle chose. »

  1. Vie du duc d’Épernon, par Girard, son secrétaire ; Paris, 1655, in-folio. On trouvera aussi un long récit de cette querelle et des réparations auxquelles le duc fut condamné dans la Biographie universelle, article Sourdis, t. 43, p. 193.
  2. Donner un tour de pilier. Cette expression paroît empruntée des termes de manége, où on change de volte quand on approche des piliers. Il semble que l’on doit entendre que l’archevêque prit un détour pour ne pas se rendre à l’invitation du cardinal.