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Comme elle étoit mal saine, elle s’imagina être ensorcelée, et, de peur des fascinations, elle alloit toujours voilée, pour éviter, disoit-elle, i Guardatori[1]. Elle en vint jusqu’à se faire exorciser. On se servit de cela contre elle dans son procès, et aussi de trois coffres remplis de boîtes pleines de petites boulettes de cire. Car en rêvant, elle avoit accoutumé de faire de petites boulettes de cire qu’elle mettoit dans ces boîtes. M. Perrot, père du président de même nom, se moquoit fort de ces accusations, et il fallut que sa famille, par politique, l’enfermât de peur qu’il n’allât au Palais faire quelque chose qui eût déplu à la cour et qui n’eût pas sauvé cette femme. Le Parlement, qui ne croit point aux sorciers, condamna la maréchale comme sorcière ; cela a fait dire qu’on ne l’avoit fait que pour couvrir l’honneur de la Reine. Quand on lui demanda de quels charmes elle s’étoit servie pour gagner l’esprit de la Reine, « Pas d’autre chose, dit-elle, que du pouvoir qu’a une habile femme sur une balourde. » Je doute qu’elle ait dit cela.

Dans son procès elle se nomme Léonora Galigai, quoique effectivement elle s’appelât Dori. Cela vient de ce qu’à Florence, quand une famille est éteinte, pour de l’argent on peut avoir la permission d’en prendre le nom, et c’est ce qu’elle a fait. On dit qu’elle mourut très-chrétiennement et très-courageusement[2].

  1. Superstition du moyen âge ; sort que l’on croyoit être jeté par le simple regard ; on l’appeloit jettatura. Il falloit, pour l’éviter, rompre l’air entre l’œil du magicien et l’objet qu’il considéroit. Les habitans de nos campagnes ne sont pas encore guéris de ces chimères.
  2. On ne peut indiquer aux lecteurs une source plus curieuse pour tous les faits qui composent cet article, que la Relation exacte de tout ce qui s’est passé à la mort du maréchal d’Ancre. On la doit à Michel de Marillac, et on regrette de ne pas la voir reproduite dans la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France. Elle a été imprimée à la suite de l’Histoire des plus illustres favoris, par P. Dupuy ; Leyde, Jean Elzevier, 1659, in-12.