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toute votre vie, sans vous en rien dire, et vous ne me laisserez pas changer de charge à ma fantaisie ! ». Je crois pourtant que Chapelain ne l’entendit pas, car ils ont toujours vécu en amis depuis cela.

J’ai dit ailleurs qu’il disoit que La Mothe Le Vayer étoit vêtu en charlatan, car il avoit des souliers noircis avec un habit de panne, et Chapelain en maquereau.

J’ai vu une estampe de Rabelais, faite sur un portrait qu’avoit une de ses parentes, qui ressembloit à Luillier comme deux gouttes d’eau, car il avoit le visage chafouin et riant comme Luillier. Pour l’humeur, vous voyez qu’il y a assez de rapport.

Il fit son bâtard (1) médecin, parce, disoit-il, qu’en cette vacation-là on peut gagner sa vie partout. Ce garçon lui ressemble fort pour l’humeur et pour l’esprit.

[(1) Chapelle. (T.)]

Luillier étoit inquiet à un point qu’il disoit franchement : « Dans un an je ne sais où je serai, peut-être irai-je me promener à Constantinople. » Il ne mentoit pas, car un beau jour, sans rien dire à personne, il part. Ses parens disoient qu’il s’étoit allé promener pour quatre ans. Il alla bien se promener pour plus longtemps, car il est encore à revenir. Il alla en Provence trouver son bâtard. qu’il avoit donné à instruire à Gassendi, son intime, qui avoit logé ici chez lui si long-temps. Il disoit pour ses raisons que son parlement de Toul, et ses amis l’occupoient trop à solliciter leurs affaires. Il fut bien malade à Toulon : de là il passa en Italie, fut encore malade à Gênes, et enfin mourut à Pise. Il n’y a jamais eu que lui au monde qui se soit fait conseiller à Toul pour aller mourir à Pise.