Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/161

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui n’est pas ignorant ; mais c’est un des plus méchants auteurs que j’aie vus de ma vie. Il s’avisa, dans son livre de vers, de mettre en lettres italiques certains mots par-ci, par-là ; personne ne put deviner pourquoi, car, par exemple, dans un vers il y aura le mot d’amour en ce caractère. Je lui en demandai la raison : « C’est un mauvais conseil, me dit-il, que quelques-uns de mes amis m’ont donné de marquer ainsi ce que je croyois de plus fort dans mes vers. » Saint-Amant, à qui je dis cela, me dit : « Je pensois qu’il eût voulu marquer le plus faible. »


CONRART

Conrart est fils d’un homme qui étoit d’une honnête famille de Valenciennes, et qui avoit du bien ; il s’étoit assez bien allié à Paris. Cet homme ne vouloit point que son fils étudiât, et est cause que Conrart ne sait point de latin. C’étoit un bourgeois austère qui ne permettoit pas à son fils de porter des jarretières ni des roses de souliers, et qui lui faisoit couper les cheveux au-dessus de l’oreille ; il avoit des jarretières et des roses qu’il mettoit et ôtoit au coin de la rue. Une fois qu’il s’ajustoit ainsi, il rencontre son père tête pour tête ; il y eut bien du bruit au logis : son père mort, il voulut récompenser le temps perdu.

Son cousin Godeau lui donnoit quelque envie de s’appliquer aux belles-lettres ; mais il n’osa jamais entreprendre le latin ; il apprit de l’italien et quelque peu d’espagnol. Se sentant foible de reins pour faire parler de lui, il se mit à prêter de l’argent aux beaux- esprits, et à être leur commissionnaire : même il se chargeoit de toutes les affaires des gens de réputation de la province : cela a été à un tel point que, pour faire parler de lui en Suède, il prêta six mille