Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et processions religieuses. Terne, sérieux et même sombre, roide et roidi, voilà les mots qui, en présence de cet art, viennent à la pensée. C’est le quatorzième siècle qui s’est fixé ici dans les peintures, et l’on y sent la présence continue de la lutte, l’arrêt forcé au sein du danger, l’effort infructueux vers une beauté plus épanouie et vers une harmonie plus libre. C’est l’âge des horribles guerres intestines, des condottieri et des Visconti, des supplices calculés et des tyrannies atroces, de la foi chancelante et du mysticisme croulant, de la renaissance entrevue, essayée et avortée. Avec ses contes tragiques, sceptiques, sensuels, couverts de périodes cicéroniennes, Boccace en donne l’image vraie[1].

Là sont les personnages et les aspirations du temps. Simone Memmi, le peintre de Laure et l’ami de Pétrarque, a peint dans la salle du Grand Conseil la Vierge sous un baldaquin, entourée de saints, tètes graves et nobles dans le goût de Giotto, et un peu plus loin Guido Ricci, un capitaine du temps, sur son cheval caparaçonné, figure réelle : on voit ici la peinture devenir laïque[2]. — Un des Lorenzetti a entassé près de là des chocs d’armures, des batailles de peuples, et Spinello Spinelli, dans la salle des prieurs, a représenté la victoire d’Alexandre II sur Frédéric Barberousse, l’empereur étendu sur le dos devant le pape[3], des combats de vaisseaux, des processions de troupes : voilà que l’art prend un tour historique et réaliste. — Ambrogio Lorenzetti, dans la salle des Archives, a figuré le bon

  1. Comparer sa Fiancée du roi de Garbe et celle de la Fontaine.
  2. 1316-1328.
  3. 1400.