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autour d’elle et de l’enfant qu’elle tient dans ses bras, plusieurs têtes de saintes sont déjà singulièrement belles et calmes. Vingt-sept compartiments, toute l’histoire du Christ placée dans la chapelle qui fait face, les accompagnent. Le ciel est d’or, et les auréoles d’or enveloppent toutes les figurines. Dans cette lumière, les personnages presque noirs semblent une vision lointaine, et quand autrefois ils étaient sur l’autel, le peuple agenouillé, qui entrevoyait de loin leur grave ordonnance, devait ressentir le trouble mystérieux, la sublime anxiété de la foi chrétienne devant ces ombres humaines profilées par multitudes sur la clarté du jour éternel.

À l’Institut des Beaux-Arts sont les tableaux de Duccio, de ses contemporains, de ses successeurs, toute la suite des vieux maîtres de Sienne, presque tous tirés des couvents. Avec leurs ongles et leurs ciseaux, les nonnes ont dans ces peintures arraché les yeux des démons, déchiré le visage des persécuteurs. Peu de progrès ; le tableau est encore un objet de religion plutôt que d’art : on le comprend de reste par ces mutilations naïves. C’est à l’hôtel de ville de Sienne que cette peinture est le plus parlante. Un musée n’est jamais qu’un muséum, et les œuvres de l’art comme les œuvres de la nature perdent la moitié de leur vie quand on les lire de leur milieu. Il faut les voir avec leurs alentours dans le grand mur dont ils peuplaient la nudité, devant la fenêtre ogivale qui les éclairait, dans les salles où siégeaient des magistrats habillés comme leurs personnages. On passerait deux mois dans ce palais à étudier les mœurs féodales sans épuiser toutes les idées qu’il peut fournir : figures et costumes, jeunes chevaliers et vieux sergents d’armes, ordonnances de batailles