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animaient les hommes. Nous sommes opprimés par notre œuvre elle-même. Nous limitons de nos propres mains notre champ d’action. Nous n’aspirons qu’à ajouter une pierre au bâtiment énorme que les générations successives construisent depuis tant de siècles. Nous ne savons pas ce que le cœur et l’esprit humains peuvent faire épanouir d’énergies actives, tout ce que la plante humaine peut pousser à la fois de racines, de branches et de fleurs, sitôt qu’elle rencontre le sol et la saison dont elle a besoin. Quand l’État n’était pas une grosse machine composée de ressorts bureaucratiques et intelligible seulement pour la raison pure, mais une cité perceptible aux sens et proportionnée aux capacités ordinaires de l’individu, l’homme l’aimait, non par secousses comme aujourd’hui, mais tous les jours, par toutes ses pensées, et la part qu’il prenait aux affaires publiques, élevant son cœur et son intelligence, mettait en lui les sentiments et les idées d’un citoyen, non d’un bourgeois. Un cordonnier donnait de l’argent pour que l’église de sa ville fût la plus belle ; un tisserand fourbissait le soir son épée en décidant qu’il serait non le sujet, mais un des seigneurs de la cité rivale. À un certain degré de tension, toute âme est une corde vibrante ; il suffit de la toucher pour lui faire rendre de beaux sons. Représentons-nous cette noblesse et cette énergie répandues du haut en bas d’une cité dans les couches ; ajoutons-y une prospérité établie et croissante, cette confiance en soi, ce sentiment de joie que l’homme éprouve en se sentant fort ; ôtons de nos yeux cet encombrement de traditions et d’acquisitions qui sont aujourd’hui notre embarras aussi bien que notre richesse ; considérons l’homme libre et livré