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qui viennent de quitter le Vatican sentent cette distance.



Sienne, 8 avril.


Cette Sienne si tombée a été la première institutrice et maîtresse en matière de beau. C’est chez elle et à Pise qu’on trouve la plus ancienne école. Nicolas de Pise est Siennois par son père. Le restaurateur de la mosaïque au treizième siècle est Jacopo da Turrita, un moine franciscain de Sienne. La plus vieille peinture italienne que l’on connaisse est un Jésus crucifié, aux membres effilés, à la tête penchée, dans l’église d’Assise, par Giunta, un Pisan[1]. Ici même, à San-Domenico, Guido de Sienne a peint en 1271 un doux et pur visage de madone qui dépasse déjà de beaucoup l’art mécanique de Byzance. Ce coin de la Toscane s’était dégagé avant tout le reste de l’Italie de la barbarie féodale. En 1100 déjà, Pise, la première des républiques maritimes, commerçait et guerroyait dans tout le Levant, inventait une architecture, bâtissait sa cathédrale. Un siècle plus tard. Sienne était dans sa force, accablait Florence on 1260, à la bataille de Montaperto. C’étaient de nouvelles Athènes, commerçantes et guerrières comme l’ancienne, et le génie, le sentiment du beau, naissaient chez elles, comme chez l’ancienne, au contact des entreprises et des dangers. Enfermés dans nos grandes monarchies administratives, retenus par la longue tradition littéraire et scientifique dont nous portons la chaîne, nous ne trouvons plus en nous la force et l’audace créatrice qui alors

  1. 1236. — Il avait appris entièrement son art vers 1210.