Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le grand homme lui-même a travaillé ici : on lui attribue une admirable petite chapelle où les figurines s’étagent dans des nefs à coquilles, parmi de fines arabesques qui serpentent sur le marbre blanc. Ses prédécesseurs, les plus glorieux restaurateurs de l’art, l’accompagnent : au-dessous de l’autel, dans une chapelle basse, un saint Jean de Donatello, de vigoureuses figures au col tordu, aux muscles noueux, impriment dans l’esprit leur énergie et leur jeunesse. À voir ce pavé, ces murs, ces autels ainsi remplis et chargés, ces files de figures et de têtes qui montent sur les efflorescences des chapiteaux, qui s’alignent sur les frises, qui couvrent tout le champ de la vue, il est visible que les arts du dessin sont le langage spontané de cette époque, que les hommes le parlent sans effort, qu’il est le moule naturel de leur pensée, que cette pensée et cette imagination, fécondes pour la première fois, pullulent au dehors avec un enfantement inépuisable de formes, qu’elles sont comme des adolescents dont la langue se dénoue, et qui parlent trop parce qu’ils n’ont pas encore parlé.

Trop de choses belles ou curieuses, c’est un mot qui revient ici : par exemple la Libraria attenant à la cathédrale, bâtie à la fin du quinzième siècle. Là sont dix fresques du Pinturicchio, l’histoire de Pie II, plusieurs figures de femmes bien chastes et bien élégantes ; mais l’œuvre est encore littérale et sèche. Le peintre garde les costumes du temps : il représente l’empereur en robe dorée avec le luxe exagéré du moyen âge. Pinturicchio employait Raphaël pour ses cartons ; on touche ici le passage de l’ancienne école à la nouvelle : du maître à l’élève la distance est infinie, et des yeux