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les larges dalles. Il y en a de tous les âges, depuis la naissance de l’art jusqu’à son achèvement. Personnages, processions, combats, châteaux, paysages ; les pieds foulent les scènes et les hommes du quatorzième siècle et des deux siècles qui ont suivi. Sans doute, les plus anciennes sont roides comme des tapisseries féodales : Samson et sa mâchoire d’âne, Absalon pendu par sa chevelure, et qui ouvre de grands yeux niais, les Innocents égorgés, rappellent les mannequins des missels : mais, à mesure qu’on avance, on voit la vie pénétrer dans les membres. Les grandes sibylles blanches, sur le pavé noir, ont une noblesse et une gravité de déesses. Quantité d’autres tètes frappent par leur caractère grand et ferme. L’artiste ne voit encore dans la créature humaine que la charpente générale ; il n’est pas distrait, comme nous le sommes, par la multitude des nuances, par la connaissance des infinies inflexions de l’âme et des innombrables brisures de la physionomie. À cause de cela, il peut faire des créatures qui, par leur calme, semblent supérieures aux agitations de la vie. C’est une âme primitive qui fait des âmes primitives. Au temps de Raphaël, cet art est complet ; elle plus grand de ces nielleurs sur pierre, Beccafumi, a couvert de ses dessins les environs du maître-autel et le parvis de la coupole. Son Eve demi-nue, ses Israélites massacrés pour avoir épousé des Madianites, son Abraham sacrificateur, sont de superbes figures, d’une conception toute païenne, souvent avec des torses et des poses à la Miciiel-Ange, et encore simples. Ce n’est qu’en ce temps-là qu’on a su faire des corps[1].

  1. Voyez ses cartons à l’Institut des Beaux-Arts de Sienne.