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Sienne, 8 avril.


J’ai passé dans cette église la moitié de la journée ; on y passerait aisément la journée entière. Pour la première fois, ailleurs que dans les estampes, je vois le gothique italien, la première des deux renaissances, moins pure que l’autre, mais plus spontanée.

Un grand portail brodé de statues hérisse au-dessus de ses trois portes trois frontons aigus, au-dessus de ses frontons trois pignons aigus, autour de ses pignons quatre clochers aigus, et toutes ces pointes sont crénelées de dentelures ; mais les portes sont des cintres romains ; la façade, malgré ses angles allongés, a des réminiscences latines ; les ornements ne sont point un filigrane, les statues ne sont point une multitude. L’architecte aime les formes élancées qui lui viennent d’outre-mont, mais il aime aussi les formes solides que lui a léguées la tradition antique. Si à l’intérieur il assemble ses colonnes en piliers, s’il effile et contourne aux fenêtres les meneaux et les trèfles, s’il courbe les fenêtres en ogives, il porte en haut dans l’air la rondeur aérée du dôme, il fleuronne les chapiteaux d’acanthes corinthiennes, il répand dans toute son œuvre un air de joie et de force par la bonne assiette des formes, par l’ouverture mesurée des jours, par la bigarrure luisante des marbres. Son église est chrétienne, mais d’un christianisme autre que celui du Nord, moins grandiose et moins passionné, mais moins maladif et moins violent, comme si l’allégresse innée au génie italien et l’essor précoce de la culture laïque avaient tempéré la sublime folie du