Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soumission aux mains d’un étranger, révoltes soudaines et furieuses, clubs semblables à ceux des jacobins, associations pareilles à celles des carbonari, siège désespéré, semblable à celui de Varsovie, dépopulation systématique pareille à celle de la Pologne, — nulle part la vie n’a été si tragique. De deux cent mille habitants, la cité tomba à six mille. Ce qu’il avait fallu de haines pour épuiser un peuple si vivace ne peut se dire. L’Italien féodal fut de toutes les créatures humaines la plus richement munie de volonté active et de passions concentrées, et il s’est saigné, on l’a saigné jusqu’au dernier sang de ses veines avant de le coucher dans la tranquillité monarchique. Cosme II, pour rester maître, détruisit par la faim, la guerre et les supplices cinquante mille paysans. Alors on voit dans les gravures se déployer sur la piazza républicaine les cavalcades pompeuses, les chars mythologiques, les parades et la livrée du nouveau prince. L’artiste, au bas de son dessin, se répand en adulations infinies. Les mœurs résignées, puis somnolentes, la galanterie fade, l’inertie universelle, vont s’établir. Sienne devient une ville de province, visitée par les touristes. Un ecclésiastique que je rencontre me dit que, lorsqu’il vint ici en 1821, l’immobilité et l’ignorance étaient parfaites. On mettait deux jours en vetturino pour aller de Sienne à Florence. Un noble, avant d’entreprendre ce voyage, se confessait et faisait son testament. Point de bibliothèque, aucun livre. Un jour, mon ecclésiastique, qui est savant et libéral, s’abonne à deux journaux français ; quelqu’un lui fait visite : « Comment, vous avez un journal français ! » Le visiteur touche des mains le journal français, cette chose tombée du ciel, miraculeuse. Un quart