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meriere, qui me conte son histoire, son mariage, ses réflexions sur la vie, parle, juge et raisonne comme un homme cultivé. — Un misérable guide, demi-mendiant dans une échoppe d’Assise, avait des opinions bien liées, et m’expliquait en sceptique l’état du pays. « Les paysans font la chasse aux conscrits, disait-il, mais c’est par jalousie ; leurs fils ont été pris, ils veulent faire prendre les fils des autres. Allez, le riche mange toujours le pauvre, et le pauvre ne mange jamais le riche. » Facilité de conception et promptitude d’expression : un pareil peuple est prêt pour le raisonnement politique ; on s’en aperçoit dans les cafés : la verve et l’abondance de la discussion sont étonnantes, et le bon sens est égal. Dans cette débâcle d’une révolution générale et d’un gouvernement incertain, chaque ville s’est administrée et maintenue par elle-même.

Ils s’accordent à dire que le parti libéral fait des progrès. Selon mon jeune officier, chaque année le nombre des réfractaires diminue ; cette année, tel bourg près d’Orvieto, où il tient garnison, n’en a plus un seul. À Foligno, où il a vécu, on ne compte que deux ou trois vieilles familles papales ; elles sont avares, arriérées ; l’une est parente d’un chinai ; le reste de la ville est pour Victor-Emmanuel. On loue à bon marché les biens ecclésiastiques aux paysans, ce qui les réconcilie avec le gouvernement ; on finira par les leur vendre, et alors ils seront franchement patriotes. En somme, l’ennemi du nouvel établissement, c’est le clergé ; ce sont les moines réduits à quinze sous par jour, ce sont les prêtres qui conseillent aux jeunes gens de fuir la conscription et de passer la frontière romaine. — Du reste, comme presque tous les Italiens que j’ai vus, il est ca-