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minins, à la sensibilité nerveuse, et l’on proposait à l’homme la contemplation extatique, les ravissements inexprimables et des délices que les sens, la parole et l’imagination n’atteignent pas. Plus la vie était dure, plus ces promesses étaient hautes. L’énormité du contraste multipliait l’attrait de la félicité offerte, et de toute la force de sa jeunesse le cœur s’élançait par l’issue qu’on lui ouvrait. Alors on vit cette disparate étrange d’une vie laïque semblable à celle des républiques grecques et d’une vie religieuse semblable à celle des soufis de la Perse : d’un côté des citoyens libres, des hommes d’affaires, des combattants, des artistes, de l’autre des ascètes cloîtrés, des prédicants qui allaient demi-nus, des pénitents qui s’offraient aux coups de fouet, — bien plus, les deux extrêmes réunis dans le même personnage, une même âme contenant les énergies les plus viriles et les douceurs les plus féminines, le même homme magistrat et mystique, des politiques haineux et pratiques qui correspondaient en énigmes sur les alanguissements et les hallucinations de l’amour, un chef de parti père de famille poursuivant de ses adorations une enfant morte et répandant sur des paysages réels, sur des ligures contemporaines, sur des intérêts positifs, sur des ressentiments locaux, sur la science technique de son pays et de son siècle, les illuminations monstrueuses ou divines de l’extase ou du cauchemar.

Un moine m’a conduit au réfectoire, puis à travers une quantité de salles jusqu’à une cour intérieure carrée, où un portique à deux étages porté par des colonnettes fines fait le plus élégant promenoir. Dalles, colonnes, murs, citernes, tout est pierre ; au-dessus,