qu’une mélodie, un parfum, une clarté, un emblème, sans que ce débris des images terrestres ait un prix par lui-même ou serve autrement que pour figurer l’insondable et ineffable au-delà.
Comment ont-ils supporté les angoisses et l’excès continu d’un pareil état, le cauchemar de l’enfer et du paradis, les larmes, les tremblements, les évanouissements et les alternatives d’une telle tempête[1] ? Quels nerfs y ont résisté ? Quelle fécondité d’âme et d’imagination y a fourni ? Tout a baissé depuis ; l’homme alors était bien plus fort et restait plus longtemps jeune. Je feuilletais ces jours-ci la Vie de Pétrarque par lui-même ; il a aimé Laure quatorze ans. Aujourd’hui la jeunesse du cœur, l’âge des grands mécontentements et des grands rêves dure cinq ou six ans ; ensuite on souhaite une maison confortable et une bonne place. Je crois que le corps trempé par la vie guerrière était plus résistant, et que le rude régime demi-barbare, tuant les faibles, ne laissait subsister que les forts. Mais il faut considérer surtout que la tristesse, le danger, la monotonie d’une vie sans distractions, sans lectures, toujours menacée, accroissaient la capacité d’enthousiasme, la sublimité et l’intensité des sentiments. La sécurité, la commodité, les élégances de notre civilisation nous éparpillent et nous réduisent ; d’une cascade elles font un étang. Nous jouissons el nous souffrons par mille petites sensations journalières ; alors, au lieu de se disperser, la sensibilité s’engorgeait, et la passion accumulée débordait par des irruptions. Dans un roman russe, Tarass--
- ↑ E caddi, come corpo morto cade. Il y a vingt secousses presque égales dans la Divine Comédie.