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dont l’écrasement volontaire fait plier instinctivement les genoux. Un revêtement d’azur sombre et de bandes rougeâtres étoilées d’or, une merveilleuse broderie d’ornements, de torsades, d’enroulements délicats, de feuillages et de figurines peintes, couvrent les arcs et les plafonds de leur multitude harmonieuse ; le regard s’en remplit ; un peuple de formes et de teintes vit sur ses voûtes ; je donnerais pour ce caveau toutes les églises de Rome. Ni l’antiquité ni la renaissance n’ont compris cette puissance de l’innombrable ; l’art classique agit par la simplicité, l’art gothique par la richesse ; l’un prend pour type le tronc de l’arbre, l’autre l’arbre entier avec tout l’épanouissement de son feuillage. Il y a ici un monde comme dans une foret vivante, et chaque objet est complexe, complet comme une chose vivante : ici les stalles du chœur, chargées et couturées de sculptures ; là-bas un riche escalier tournant, des grilles ouvragées, une fine chaire de marbre, des monuments funéraires dont le marbre fouillé et travaillé semble le plus élégant coffret d’orfèvrerie ; çà et là, au hasard, une gerbe élancée des plus sveltes colonnettes, un amas de joyaux de pierre dont l’ordonnance semble une fantaisie, et dans le labyrinthe îles feuillages colorés une profusion de peintures ascétiques avec leur auréole de vieil or terni : tout cela vaguement entrevu parmi les reflets noirs des boiseries, dans un jour de pourpre éteinte, tandis qu’à l’entrée le soleil baissant tombe, par cent mille flèches d’or, comme un paon qui s’étale.

Au sommet, l’église supérieure s’élance aussi brillante, aussi aérée, aussi triomphante que celle-ci est basse et grave. Véritablement, si on se laissait aller aux conjectures, on croirait que dans les trois sanctuaires