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entre les grèves de cailloux roulés ; au delà, le vieux bourg s’allonge sur la croupe de la montagne. On monte longuement, sous le soleil ardent, et tout d’un coup, au bout d’une cour bordée de fines colonnettes, on entre dans l’obscurité de l’édifice. Il n’a point d’égal ; avant de l’avoir vu, on n’a pas l’idée de l’art et du génie du moyen âge. Joignez-y Dante et les Fioretti de saint François, c’est le chef-d’œuvre du christianisme mystique.

Il y a trois églises, l’une sur l’autre, toutes ordonnées autour du tombeau de saint François. Au-dessus de ce corps vénéré que le peuple croyait toujours vivant et plongé dans la prière au fond d’une grotte inaccessible, l’édifice s’est exhaussé et a fleuronné glorieusement comme une châsse architecturale. La plus basse est une crypte noire comme une tombe, on y descend avec des torches ; les pèlerins se retiennent aux murs suintants et tâtonnent pour toucher la grille. Là est la tombe, dans un pâle jour éteint semblable à celui des limbes. Quelques lampes de cuivre, presque sans lumière, y brûlent éternellement, comme des étoiles perdues dans une profondeur morne. La fumée monte en rampant sur les voûtes, et l’épaisse odeur des cierges se mêle à l’odeur de cave. Le gardien avive sa torche, et ce flamboiement subit dans la noirceur horrible, au-dessus des os d’un mort, est une sorte de vision de Dante. C’est ici la fosse mystique d’un saint qui, du milieu de la pourriture et des vers, voit dans son cachot de terre gluante entrer le rayonnement surnaturel du Sauveur.

Mais ce qu’on ne peut représenter avec des paroles, c’est l’église moyenne, long soupirail bas, soutenu d’arceaux ronds qui se courbent dans une demi-ombre, et