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une ample Hérodiade, de charmantes femmes debout, gracieuses et fines, qui font sentir l’élan ou la richesse de la vitalité corporelle. Tout en suivant le bourdonnement des répons ou les gestes sacrés de l’officiant, plus d’un fidèle a laissé ses yeux remonter jusqu’au torse rose des petites chimères accroupies dans le plafond ; elles sont, à ce qu’on dit dans la ville, d’un jeune homme qui donne de belles espérances, élève favori du maître, Raphaël Sanzio d’Urbin. — L’office est fini, on rentre dans la salle du conseil et on raisonne, je suppose, sur le payement des trois cent cinquante écus d’or promis au Pérugin pour son travail ; ce n’est point trop : il y a mis sept ans, et ses concitoyens comprennent par sympathie, par ressemblance d’esprit, les deux faces de son talent, l’ancienne et la nouvelle, l’une chrétienne, l’autre demi-païenne.

Voici d’abord une Nativité, sous un haut portique, avec un paysage d’arbres légers, comme il les aime. C’est un tableau aéré et recueilli, propre à faire sentir la vie contemplative. On ne peut trop louer la gravité modeste, la noblesse silencieuse de la Vierge, agenouillée devant son enfant. Trois grands anges sérieux sur un nuage chantent d’après un cahier de musique, et cette naïveté reporte l’esprit jusqu’aux temps des mystères ; mais on n’a qu’à tourner les yeux pour voir des figures d’un caractère tout autre. Le maître est allé à Florence, et les statues antiques, leurs nudités, les grands gestes et les fières cambrures des figurines nouvelles lui ont dévoilé un autre monde qu’il reproduit avec mesure, mais qui l’attire hors de son premier chemin. Six prophètes, cinq sibylles, cinq guerriers et autant de philosophes païens sont debout, et chacun