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coup au moyen âge, et chacun d’eux étendait si domination autour de lui. Fra Angelico de Fiesole, chassé de Florence, est venu vivre près d’ici pendant sept ans, et il a travaillé ici même. Il y était mieux que dans sa Florence païenne, et c’est lui qui attire les yeux d’abord. Il semble en le regardant qu’on lise l’Imitation de Jésus-Christ ; sur les fonds d’or, les pures et douces figures respirent avec une quiétude muette, comme des roses immaculées dans les jardins du paradis. Je me rappelle une Annonciation de lui en deux cadres[1]. La Vierge est la candeur, la douceur même, la physionomie est presque allemande, et les deux belles mains sont si religieusement jointes ! L’ange aux cheveux bouclés à genoux devant elle semble presque une jeune fille souriante, un peu bornée, et qui sort de la maison de sa mère. Tout à côté, dans la Nativité, devant le délicat petit Jésus aux yeux rêveurs, deux anges en longue robe apportent des fleurs ; ils sont si jeunes et pourtant si graves ! Voilà des délicatesses que les peintres ultérieurs ne retrouveront pas. Un sentiment est une chose infinie et incommunicable ; aucune érudition et aucun effort ne peuvent le reproduire tout entier ; il y a dans la vraie piété des réserves, des pudeurs, par suite des arrangements de draperies, des choix d’accessoires que les plus savants maîtres, un siècle plus tard, ne connaîtront plus.

Par exemple, dans une Annonciation du Pérugin, qui est tout près de là, le tableau représente non pas un petit oratoire secret, mais une grande cour. La Vierge est debout, effrayée, mais non pas seule : il y a deux

  1. Numéros 221, 222.