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tueuses, bossuées, dans ces couloirs escarpés, dallés de briques, traversés d’arêtes pour retenir les pieds, parmi ces étranges bâtiments où l’imprévu et l’irrégularité de l’antique vie municipale et seigneuriale éclatent, à peine atténués par les rares redressements de la police moderne. Au quatorzième siècle, Pérouse était une république démocratique et guerrière qui combattait et conquérait ses voisins. Les nobles étaient écartés des emplois, et cent quarante-cinq d’entre eux complotaient le massacre des magistrats : on les pendait ou on les chassait. Il y avait sur le territoire cent vingt châteaux et quatre-vingts villages fortifiés. Des gentilshommes condottieri s’y maintenaient indépendants et faisaient la guerre à la ville. À Pérouse, des gentilshommes étaient condottieri ; le principal, Biordo de Michelotti, prenant trop d’autorité, était assassiné dans sa maison par l’abbé de Saint-Pierre. Assiégés par Braccio de Montone, les Pérousins sautaient du haut des murs ou se faisaient descendre avec des cordes pour combattre de près les soldats qui les défiaient. Parmi de pareilles mœurs, les âmes se maintiennent vivantes, et le sol est tout labouré pour faire germer les arts.



La peinture, Angelico, Pérugin.


Mais quel contraste entre ces arts et ces mœurs ! On a rassemblé à la pinacothèque les tableaux de l’école dont Pérouse est le centre : elle est toute mystique ; il semble qu’Assise et sa piété séraphique y aient pris le gouvernement des intelligences. Dans cette barbarie, c’était le seul centre de pensée ; il n’y en avait pas beau-