Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un coin ; sa noble figure est fine et rêveuse, ses cheveux et sa barbe sont d’une abondance et d’une beauté admirables, on n’imagine pas une main plus aristocratique, et dans toute son expression on démêle l’étrange douceur d’un contemplatif : c’est un capitaine, un penseur et un homme du monde. Parmesan vivait dans la première moitié du seizième siècle, au commencement du déclin de l’Italie. Que de génie et quelle culture dans les hommes qui alors ont subi l’oppression de la décadence ! Il faut lire le Courtisan de Castiglione pour voir la belle société inventive, polie, imbue de philosophie, libre d’esprit, qui périt à ce moment.

Ses deux destructeurs sont ici, tous les deux peints par Titien, Philippe II, blafard et gourmé, indécis, clignotant, homme de cabinet et d’étiquette, tel que le dépeignent les dépêches vénitiennes ; l’autre est le pape Paulin dans sa grande barbe blanche, un vieux loup songeur. Un autre pape, par Sébastien del Piombo, belle figure régulière, mais noire comme l’eau d’une rivière sale, a les yeux baissés à demi et le regard oblique. — Divers tableaux conduisent ces idées jusqu’au bout, par exemple celui de Micco Spadaro, la Soumission de Naples à don Juan d’Autriche. La guerre est tragique en ce temps-là, et l’on sait comme en Flandre les Espagnols traitent les villes reconquises. Sur la place du marché et sur toute la longue rue, les carrés massifs de soldats, piques en main, les mousquets posés sur les fourchettes, attendent le commandement ; les drapeaux flottent de rang en rang ; la force et la terreur écrasent la cité vaincue. À genoux, humblement, les magistrats présentent les clefs, et sur le piédestal de la statue du vice-roi démolie par la ré-