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tous, même aux peintres de la Renaissance, de vivre parmi des mœurs appropriées, de voir à chaque instant des corps nus et drapés, au bain, à l’amphithéâtre, et outre cela de cultiver les dons corporels, la force, la vitesse des pieds. Ils parlaient d’une belle poitrine, d’un cou bien emmanché, d’un arrière-bras plein, comme nous parlons aujourd’hui d’un visage expressif et d’un pantalon bien coupé.

Deux statuettes de bronze au milieu de toutes ces peintures sont des chefs-d’œuvre. L’une, qu’on appelle Narcisse, est un jeune pâtre nu, qui porte une peau de chèvre sur une épaule ; on dirait un Alcibiade, tant la tête penchée et le sourire sont ironiques et aristocratiques ; les pieds sont chaussés d’une cnémide, et la belle poitrine, ni trop maigre ni trop grasse, ondule tout unie jusqu’aux hanches. Tels sont les jeunes gens de Platon élevés dans les gymnases, ce Charmide, un jeune homme des premières familles, que ses compagnons suivaient à la trace, tant il était beau et ressemblait à un dieu. — L’autre statuette est un satyre, plus viril, nu aussi, et qui danse la tête levée en l’air avec un élan de gaieté incomparable. À côté de ces gens-là, on peut dire que personne n’a compris et senti le corps humain. C’est que cette intelligence et ce sentiment étaient nourris partout l’ensemble des mœurs environnantes. Il a fallu des conditions particulières pour qu’on prît comme idéal l’homme nu, content de vivre, à qui ne manque pourtant aucune des grandes parties de la pensée. À cause de cela, le centre de l’art grec n’est pas la peinture, mais la sculpture.

Il y a encore un autre raison, c’est qu’alors on pouvait poser. Prendre une attitude est aujourd’hui un travail et